LA JUSTICE ET LE DROIT

« Justice » vient du latin jus qui signifie « le droit ».  

1)A la recherche du juste et de l'injuste a)la double nature de la justice

 La justice est à la fois une institution essentielle à notre société, liée à l’État et à ses fonctions, à son autorité et un idéal  Or cette distinction peut être observée d'après 2 points de vue différents : ou bien, on choisit de considérer la justice comme un idéal inconnaissable et on distinguera donc radicalement le droit positif, le droit effectivement à l’œuvre dans une société, l'ensemble des normes et des sanctions la régissant ET l'idéal de justice ; ou bien on affirmera que cette distinction ne vaut pas séparation, mais se veut porteuse d'une hiérarchie qui n'est pas une chronologie. Soit on considère le seul droit pur de toute considération morale, soit on considère que l'idéal préexiste ou doit préexister à l'institution judiciaire. 

 On peut commencer par constater que le droit forme un ensemble de normes régissant la vie sociale et qui s'imposent à tous les membres d'une collectivité donnée, ie dans la modernité d'un même État. Mais ces normes ne s'imposent vraiment que dans la mesure où elles apparaissent à ceux qui doivent les respecter comme l'expression d'une conception juste de la justice, qu'ils supposent universellement partagée et valant donc absolument. Pourtant une nouvelle objection apparaît : les systèmes juridiques, ie les organisations empiriques observables formant le droit positif sont, à travers les âges et à une même époque donnée, d'une extrême diversité. Dans ce cas, comment pourrait-on alléguer une représentation universelle et absolue du juste et de l'injuste ? On connaît la pensée de Montaigne et de Blaise Pascal qui montrent tous deux la relativité du droit :

« Vérité au-deçà des Pyrénées, erreur au-delà ». Pensées, FR 94. 

Où trouver ces principes premiers de la justice ? 

 Le droit et la justice sont-ils véritablement l'expression d'un absolu, « la justice » universelle et atemporelle ou bien n'expriment-ils qu'un certain accord arbitraire et contingent sur les règles devant régir la vie commune en une certaine société, en une certaine époque ? Ce qui se nomme « Justice » exprime-t-il autre chose que les intérêts sociaux, habilement travestis en valeurs morales transcendantes de la classe sociale dominante ?  

b)Les enjeux du droit naturel  

 Poser l'existence d'un droit naturel suppose de prendre ses distances avec le droit existant, donc avec la société dans laquelle on vit pour mettre ce droit-et partant, cette société, à l'épreuve des principes universels qui les dépassent.  

L'idée du droit naturel, de même que sa transformation et sa remise en cause ne sont pas étrangères à la question du lien entre justice et divinité, droit et religion. Comme le rappelle Giorgio del Vecchio dans sa Philosophie du droit, « tout droit a un caractère religieux », d'où la signification expiatoire attribuée à la peine. Mais le droit aujourd'hui est le produit d'une autonomisation vis-à-vis de la sphère religieuse avec laquelle il se confondait. Laïcisation progressive et rationalisation. 

Avec Platon, le débat se complique : la discussion sur le droit naturel implique nécessairement une remise en question d'un droit naturel et divin : le droit naturel n'est plus reçu ; il convient de partir à sa recherche.  

c)la nature comme critère du juste et de l'injuste

 Dans son Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes (1755), Rousseau note que la société a corrompu l'homme ; ainsi les fondements de la justice doivent être trouvés dans la nature humaine que l'établissement des sociétés a fait oublier aux hommes euxmêmes. Retrouver le droit naturel résulte donc d'une démarche volontairement régressive.  

 Pour Montesquieu dans De l'Esprit des lois (1748), ce sont également les lois de la nature qui sont les vraies sources de la justice et du droit, idée qui mènera à la DDH de 1789. 

 Pourtant John Stuart Mill critique la thèse de Montesquieu : chercher dans la conformité avec la nature le critère absolu des bonnes lois et des bonnes institutions se révèle, au mieux, inepte, au pire, nocif : « La conformité avec la nature n'a absolument rien à voir avec le bien et le mal (…). Le devoir de l'homme est de coopérer avec les pouvoirs bienfaisants non pas en imitant le cours de la nature, mais en s'efforçant sans cesse de le corriger, et de rendre cette part de la nature sur laquelle, il peut exercer un contrôle, plus conforme à une norme élevée de la justice et de la bonté. » Ainsi John Stuart Mill dénie-t-il à l'idée de justice tout caractère naturel et inné. La nature profondément anormale ne saurait être l'étalon de mesure du Bien et du Mal, ni a fortiori le critère des lois humaines.  

c)du droit naturel au positivisme  

 L'affirmation d'un droit naturel ne contredit aucunement ni la reconnaissance de la diversité des traditions juridiques, ni l'observation selon laquelle ce droit naturel ne serait pas mis en œuvre par le droit positif. Le droit naturel n'appartient pas en effet au domaine des phénomènes mais à celui des principes, il fait référence au devoir-être et non à ce qui est dans les faits. Inversement, on ne saurait non plus affirmer que le droit positif perd sa validité juridique dès lors qu'il entre en contradiction avec le droit naturel. 

Le droit positif put se définir avec Giorgio del Vecchio comme « le système de normes juridiques qui informe et règle effectivement la vie d'un peuple à un moment donné de l'histoire. » Un tel droit n'a pas à être juste pour être juridiquement valide, il doit simplement être le fruit d'un dessein social. C'est le cas de la loi qui est la forme principale et emblématique. La loi est dans un État moderne une disposition de caractère général, impersonnel et obligatoire. Elle comprend la norme législative votée par le Parlement, la constitution, les traités et accords internationaux, les principes généraux du droit, les règlements (décrets, arrêtés). La théorie positiviste estime qu'il n'y a qu'un seul droit, le droit positif, au contraire de l’École du droit naturel qui insiste sur la dualité du droit (droit positif certes mais aussi droit naturel). Enfin le positivisme, plutôt qu'une philosophie qui suppose une interrogation sur la nature de l'homme, s'attache à la mise en place d'une véritable science du droit, ambition qui marque l'impératif de neutralité axiologique de cette conception.  

e) Kant, une définition idéale du droit

 Livrée dans sa Métaphysique des mœurs (1795). Nécessité pour lui d'aller au-delà d'une simple description empirique du droit pour cerner « le critère universel auquel on peut reconnaître aussi bien le juste que l'injuste. » Le droit est une faculté de contraindre, « comme la possibilité d'une contrainte générale réciproque s'accordant avec la liberté de chacun selon les lois universelles ». Ainsi sans mettre en cause fondamentalement l'enseignement de l’École du droit naturel (à savoir que les fondements de la justice et du droit se trouvent dans l'homme même), Kant passe d'un droit naturel à un droit rationnel. Le droit échappe à l'histoire. Kant établit une distinction nette entre droit et morale, celle-ci concernant les motifs d'agir. La finalité du droit est le respect de la liberté de l'homme, ie le respect du principe éthique selon lequel l'homme ne doit pas être traité comme un moyen mais comme une fin. Dans cette optique, Kant définit le droit dans la lignée de

Rousseau et de son contrat social : l’État a pour fin essentielle la protection du droit, ie en définitive la protection de la liberté.  

2)Justice, droit et société a)Préliminaires : autour du positivisme de Hobbes

 La réflexion sur la justice est traditionnellement pauvre dans la science politique et la philosophie politique. La pensée sur la justice paraît classiquement subordonnée à la recherche du meilleur régime politique possible et à la définition de l’État et à la réflexion sur le droit. La question de l'indépendance de la justice est un problème intellectuel : peut-on penser la justice d'un point de vue autre que moral sans passer immédiatement à autre chose que la justice proprement dite (la démocratie, le despotisme, l’État...)

La justice est essentielle à l’État : elle a pour fonction d'apporter à la contrainte exercée par l’État la légitimité essentielle à son exercice et à son acceptation par les citoyens. Chez Hobbes, la législation est directement l’œuvre essentielle de la puissance souveraine : cela découle de la l'attente même d'où est née cette puissance. Dès lors, il appartient à la loi du Souverain de définir le droit qui devient dès lors le droit du citoyen, qui se substitue au droit sauvage de l'individu à l'état de nature. Ainsi la médiation de la loi-et de la justice qui en contrôle le respect-substitue au nondroit de cet état de nature le droit civil, ie un droit positif qui est, aux yeux de Hobbes, le seul authentiquement juridique, ie le seul ayant à la fois un caractère obligatoire et contraignant. Dans l’État, le droit est donc défini par la loi dont l'office est de gérer la société civile. L'univers juridique devient donc un tissu de règles, un ensemble de normes dont la fonction est de réguler la vie en société. Ces normes définissent à elles seules, le légitime et l'illégitime, le juste et l'injuste qui deviennent donc non une affaire de conscience individuelle mais une affaire d’État. La régulation est la finalité dernière du droit et non la réalisation d'un impératif moral : en réglementant la vie des citoyens, il sert et assure la paix civile. Les fonctions du droit et de la justice sont assimilables aux fonctions normatives, régulatrices et protectrices de l’État.  

 La justice étant une branche de l’État fait-elle alors œuvre d'oppression ? Non aux yeux de Hobbes. La contrainte juridique, fruit d'un contrat entre les membres de la communauté politique, loin de remplir une telle fonction négative, équivaut à une libération. La vision de Hobbes peut donc être qualifiée de positivisme juridique- au sens où elle voit dans l'établissement de l’Etan la condition nécessaire à l'affirmation du juste et de l'injuste. Ainsi il n'est de juste que par l'Etat et la justice, loin d'être un sentiment et un idéal de l'homme, loin de faire appel à la nature même de l'homme, renvoie à la fonction de régulation sociale remplie par l’État.  

b)les fondements du juste et de l'injuste  

 Ce n'est qu'à partir du XIIe siècle que le mot de justice l'organisation du pouvoir judiciaire et se rapporte à l'origine à un principe extérieur, moral, au nom duquel le droit doit être respecté. A l'origine, la question est de savoir si ce qui est juste et injuste, c'est ce qui est conforme à l'ordre des choses voulues par Dieu, ou bien si le juste et l'injuste peuvent être définis en dehors de tout appel à  une transcendance. Ainsi Saint Augustin dans la Cité de Dieu s'oppose à la vision de Cicéron : dans son ouvrage De la République (54 avant J -C), celui-ci définit la justice fondée sur la loi naturelle conforme à la nature de l'homme et à la raison. C'est donc de l'homme lui-même qu'il tire l'idée de justice. A l'inverse, Augustin fonde la justice sur la loi éternelle, divine infiniment supérieure à la justice terrestre. 

            Ce lien entre justice et religion est présent avant le christianisme dans la Rome archaïque, le jus désigne ce qui est conforme à la volonté divine et le verbe qui est dérivé « jurer » atteste l'origine sacrée du serment devant les juges, comme l'aspect rituel, au sens religieux, des procédures judiciaires contemporaines. Ce n'est véritablement qu'au XIIIe siècle que l'idée de justice se laïcise : est juste celui qui agit conformément au droit, donc à une règle établie. La vieille question que recouvre cette histoire est de savoir si le juste et l'injuste sont un sentiment inné de l'homme ou bien n'ont d'existence que dans et par le droit, ie en fonction des exigences sociales rationnellement déterminées de la vie collective. Le droit est l'un des moyens principaux (avec la contrainte physique) par lesquels la société assure sa cohésion et sa pérennité.  

c)une institution sociale

 On commettrait une erreur en assimilant justice et État : la justice comme organe de l’État tel que nous le connaissons n'est que la forme moderne et institutionnalisée de ce qui est d'abord une fonction sociale. La justice remplit d'abord une fonction de conservation sociale. Les interdits régulent la société. La détermination de ce qui constitue un acte criminel est un fait historique et culturel. La justice ne peut pas être privée. Loi du talion conjurée. Penser au tribunal de l'aréopage édifié par Athéna dans l'Orestie d'Eschyle. Ainsi la fonction fondamentale du système répressif est de garantir la préservation de la société globale et l'ordre sur lequel celle-ci se trouve fondée.  

d)à la recherche de la justice sociale, la justice comme équité et

préservation de la liberté 3)Justice, droit et État

a)Justice et État, justice d’État, justice de classe

 Dans l’État primitif, le pouvoir judiciaire ne se distingue pas du pouvoir politique : il en constitue un des éléments et cet élément appartient au chef ou ou roi. Mais doit-on regarder la justice comme nécessairement attachée à servir les intérêts de la classe dominante. La pensée marxiste condamne la justice, car elle est issue des superstructures , au même titre que l’État luimême. Bureaucratie, appareil répressif et appareil judiciaire forment dans cette perspective une trinité étatique et politique qui n'est autre qu'une trinité de la domination sociale. Si Marx peut affirmer dans La Question juive que « la sécurité est la plus haute valeur de la société bourgeoise », la justice comme la police participent à cette sécurité. La justice ne serait alors rien d'autre qu'un leurre destiné à masquer la réalité du pouvoir d’État. Il ne saurait être question d'un droit neutre, réductible à des questions techniques.  

b)Michel Foucault et la finalité politique du droit

 D'une manière différente, en analysant les rapports du pouvoir et du juridique, Michel Foucault met en lumière la manière dont la politique, depuis le MA, a porté son effort sur une récupération du droit dont la finalité est de légitimer et de faire accepter le pouvoir ; les monarchies européennes qui instrumentalisent le droit afin de légitimer leur domination valorisent le juridique et le nient en même temps dans son autonomie. Le droit est instrument. La Volonté de savoir. Or, pour Foucault, loin de remettre en question cette logique, la Révolution et le XIXe siècle n'ont fait que porter la critique de la monarchie et du pouvoir au sein de cette même représentation : « Dans la pensée et l'analyse politique, on n'a toujours pas coupé la tête du roi. » ibid. Il existe ainsi une confusion entre la justice comme valeur et la justice comme institution. Cette représentation met en lumière des questions cruciales : en quoi la justice n'est-elle (ne doit-elle être) qu'un organe de l’État régissant l'activité sociale au nom de l’État, et au même titre que ses autres services ? En quoi, au contraire, est-elle (doit-elle être) une institution à part, à nulle autre pareille, du fait de l'ambivalence de sa fonction : certes réguler la société, ie « rendre la justice », mais aussi « rendre justice »  au sens moral du terme ? C'est pourquoi la question se pose de savoir si l’État instrumentalise la justice en fonction des intérêts qu'il représente. De même, en quoi la justice ne fait-elle, fût-ce avec les intentions les meilleures, que sanctionner l'état de société ? Par exemple, 2/3 des condamnés sont issus des classes défavorisées. Cela ne signifie pas, d'ailleurs, qu'il y ait au sens strict « justice de classe ». Mais on voit mal, comment la justice pourrait ne pas prendre acte des inégalités de fortune, de statut, de savoir et d'intégration sociale, puisqu'elle remplit elle-même une fonction de protection, de conservation de l'ordre social et de ses valeurs. Observation qui rejoint cette remarque de Montesquieu sur le rapport entre identité sociale et justice : « Il faut même que les juges soient de la condition de l'accusé, ou ses pairs, pour qu'il ne puisse pas se mettre dans l'esprit qu'il soit tombé entre les mains des gens portés à lui faire violence. » L'Esprit des lois, L XI, Ch VI. De même de l'idée plus récente selon laquelle la justice traite de manière différente ceux qui bafouent les valeurs de la société (le vol par exemple qui met en cause la sacro-sainte propriété privée) et ceux qui reconnaissent ces valeurs et se contentent d'en abuser (la criminalité d'affaire). 

 Foucault met en lumière ce qui dans la définition du droit, ie du légal et de l'illégal devenus les figures prétendument objectives du juste et de l'injuste, participe d'une représentation politique, idéologique, de ce qu'est et doit être la société. Dans Surveiller et punir, il relève l'échec de la justice, si la loi est destinée à définir les infractions, que l'appareil pénal a pour fonction de les réduire et que la prison soit l'instrument de cette répression. La justice, à l'image de la société qu'elle régule, n'est ni idéalement une, mais multiple et elle-même différenciée, ni socialement et idéologiquement neutre, mais porteuse d'une vision morale et d'une représentation spécifique de l'ordre public.  

c)Institution et pouvoir judiciaires

Dans quelle mesure la justice acquiert une réelle autonomie dans l’État moderne ? La justice ne constitue pas à proprement parler un pouvoir autonome. Il faut faire référence à la théorie de la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Cette séparation, Aristote, dans La politique et Montesquieu dans L'Esprit des lois observent combien, loin d'être une simple question de technique juridique et institutionnelle, elle touche à une question philosophique et directement politique, celle de la protection des citoyens contre l'abus de pouvoir, abus dont la confusion des pouvoirs et des fonctions se révèle la conséquence inévitable. Ainsi les princes qui ont voulu se rendre despotiques constate Montesquieu ont toujours commencé par réunir toutes les magistratures. Montesquieu met aussi en garde contre le danger d'une trop grande liberté des jugements, source d'arbitraire des juges.  

d)Justice et politique de l'indépendance

 La justice ne doit pas œuvrer sous la dépendance du pouvoir politique. Des moyens pour assurer l'indépendance des magistrats sont mis en œuvre ; il s'agit d'abord de l'inamovibilité des magistrats, qui en France ne concerne pas tous les ordres, le juge administratif n'en bénéficiant pas.

Elle se trouve d’ailleurs relativisée par le déroulement de la carrière des magistrats et les attributions du Conseil supérieur de la magistrature sont à cet égard fort restreintes. Second critère, le recrutement des juges selon qu'ils sont élus, nommés de manière discrétionnaire ou encore recrutés par concours. Pourtant on s'accorde à dire qu'aucune formule technique idéale n'existe. Le politique a le choix entre 2 voies : il peut faire du juge un complice ou un subordonné, ou il peut choisir de l'ériger en contre-pouvoir qui limite toute tentative d'arbitraire de sa part. Soit le  juge est intégré au système politique étatique, dont il n'est qu'un rouage parmi d'autres, soit c'est l'ensemble de ce système qui se trouve placé sous la surveillance du droit. Négation de toute autonomie d'une part, constitution d'un véritable État de droit d'autre part. La justice peut aussi résister au pouvoir et imposer sa propre logique : c'est la cas de la Cour suprême des EU s'attribuant à elle-même la compétence de constitutionnalité des lois, du Conseil constitutionnel français conçu par de Gaulle comme le chien de garde du parlementarisme rationalisé et qui, par sa décision en 1971 étendant « le bloc de constitutionnalité » à la DDH de 1789 et au Préambule de la Constitution de 1946, devient le premier des défenseurs des libertés publiques en France.  

e)Droit et État : droit et démocratie : le cas de la France

            En France, la Monarchie, puis la Révolution, puis la République dans une continuité remarquable, ont assuré la subordination du juridique au politique. C'est le cas si on se réfère à l'affrontement entre le pouvoir royal et les Parlements, durant la période d'édification de la monarchie, de l'interdiction opposée aux tribunaux judiciaires de rendre des arrêts du règlement, de leur dessaisissement des affaires intéressant l’État pendant la Révolution, de la codification du droit par Napoléon, assignant ainsi au droit son domaine propre, protégé mais également limité. 

 Deuxième question : celle de la production des normes juridiques. Revient-il aux juges de faire le droit ou le politique, via la production législative, est-il le créateur principal des normes juridiques ? La France, depuis longtemps, a choisi la seconde solution. Illustration de la logique mise en exergue par Michel Foucault, la tradition française a voulu réduire le corps juridique à un corps de doctrines et de règles techniques au service des fins politiques. Tout cela a donc à voir avec une certaine conception de la démocratie axée sur l’État et la loi, et marquée de ce fait par une tendance au monopole.  

f)le constitutionnalisme  

 Le Constitutionnalisme désigne les régimes politiques qui, par l'établissement d'un contrôle de constitutionnalité (exercé par une instance indépendante, à l'instar du Conseil constitutionnel en France) rendent possible la limitation du pouvoir législatif lui-même, en veillant à la conformité des lois, à la constitution et à ses principes, et non pas seulement à la légalité des actions du pouvoir exécutif et de l'administration. En ce sens, le développement du constitutionnalisme est inséparable du libéralisme politique et de la démocratie moderne. C'est avec la révolution américaine que le constitutionnalisme moderne apparaît. La Constitution occupe une place particulière : elle exprime la volonté du peuple là où les lois ordinaires n'expriment que la volonté d'une « autorité déléguée. » Se met ainsi en place une opposition cruciale entre la volonté directement exprimée par le peuple et la volonté des représentants du peuple, la première fixée dans la constitution prévalant sur la seconde. La logique du constitutionnalisme moderne trouve ses principes en France dans la DDH de 1789. Il y a donc une confrontation entre 2 temporalités politiques différentes : temporalité brève et immédiate d'un côté, celle des échéances et alternances électorales et celle de la représentation, de l'autre côté , celle du temps long, des principes fondamentaux et de la volonté populaire. Dans la Métamorphose de la démocratie française, Laurent Cohen-Tanugi note : Politiquement le constitutionnalisme, en intégrant les données de la mémoire collective, engendre la continuité, ie la modération. Réduisant l'amplitude des alternances politiques, le contrôle de la constitutionnalité, contribue fortement à resserrer le fossé idéologique. »  

UNE FICHE SUR LES DIFFÉRENTS TYPES DE JUSTICE p. 194 des THÈMES FONDAMENTAUX DE CULTURE G + UNE FICHE SUR LA CHRONOLOGIE DES PRINCIPAUX TEXTES JURIDIQUES DÉFINISSANT LES LIBERTÉS ET LES DROITS FONDAMENTAUX DEPUIS 1789 p. 203. IBID. 

TEXTE  COMTE-SPONVILLE, PETIT TRAITE DES GRANDES VERTUS, 1995

COURS 5 : PROBLÉMATIQUES SOCIÉTALES

LA QUESTION DE LA FEMME

1.1)Un thème à part ?  

 Traiter ds femmes, même avec »les meilleures intentions du monde », représenter et dénoncer un état d'infériorisation, faire le point sur une « libération » récente et inachevée-n'est-il pas en soi le produit d'une double représentation masculine de la femme : la femme comme « Autre » de l'homme et comme « problème » ? 

 La coïncidence des 2 significations du mot « homme » qui désigne à la fois l'universel humain et la moitié masculine de l'humanité, dans la langue française, pourtant si riche en nuances et en subtilités, n'est qu'un signe parmi les plus apparents d'un « problème », cette fois au sens d'une difficulté à résoudre. Les femmes seraient-elles donc une difficulté pour la pensée, pour le monde, pour les hommes et toute société ? Seraient-elles un sujet d'étude spécifique, voire une « communauté » puisque certains reprochent aujourd'hui aux féministes de créer un nouveau communautarisme ? Mais comment parler de communauté à propos de la moitié de l'humanité-et qui est présente, justement dans toutes les communautés ? Ne serait-il pas suffisamment question d'elles, les femmes, lorsqu'il est question de l'homme, ce sujet universel de la philosophie ? Seraient-elles irréductibles ? Seraient-elles l'Autre irréductible ?  

 Ce sujet exige à tout moment de traquer ses propres préjugés et sa propre aliénation aux schémas de pensée dominants. 

 La question des femmes a conquis une place éminente qui lui est reconnue aujourd'hui par le moyen de la lutte ; lutte dont l'achèvement n'est pas derrière soi selon Gisèle Halimi mais devant soi. Il s'agira de réfléchir aux « femmes » et non à la « femme » et encore moins à l'éternel féminin ou à la féminité, toutes notions hautement culturelles, idéologiques même,en dépit de leur apparence « naturelle » comme on le verra. Enfin, il se veut sans qualificatif et il n'est pas non plus le « féminisme ».  

1.2)L'être relatif : pas de femmes sans hommes

            La question du rapport des femmes aux hommes est immédiatement posée. Il semblerait que l'on ne puisse parler des femmes sans parler des hommes et il n'est pas certain que l'inverse soit vrai. Il semblerait que la femme soit « l'être relatif » par excellence. Que l'on pense à Emma Bovary de Flaubert (1857), héroïne nourrie de niaiseries romantiques, à la recherche d'une issue contre l'ennui et la médiocrité de son existence, issue qu'elle ne peut imaginer qu'à travers des figures masculines, époux ou amants...

1.3)Le discours sur les femmes, un discours masculin  

 Qui parle des femmes ? Depuis des siècles, les hommes monopolisent la parole sur « la Femme ». Définie, disséquée, méprisée ou adulée, portraiturée par écrivains, artistes, sociologues, moralistes en tous genres, la femme fut jusqu'au Xxème siècle, objet de parole. Significativement, nombre d'ouvrages de femmes sur les femmes commencent par cette étape obligée, la citation des (terribles) bons mots masculins. Ainsi de Simone de Beauvoir (1908-1986) dans l'introduction au Deuxième sexe, ainsi du premier chapitre d'Une Chambre à soi de Virginia Woolf (1882-1941). Celle-ci le remarque d'ailleurs, avec ironie en s'adressant aux femmes : « Avez-vous quelque idée du nombre de livres consacrés aux femmes dans le courant d'une année ? Avez-vous quelque idée du nombre de ces livres qui sont écrits par des hommes ? Savez-vous que vous êtes peut-être parmi les animaux de la création celui dont on discute le plus ? » Une chambre à soi, Ch. 2. 

 Or le XXIème siècle débute sur un retournement de situation complet. C'est d'abord parce qu'elles ont pris la parole sur leur histoire, leur identité, cherchant à comprendre et à défaire le mystère de leur soumission, qu'elles ont affirmé une dignité retrouvée et qu'elles sont passées du statut d'objet à celui de sujet. Initiatrice de cette mutation, Simone de Beauvoir, par la rédaction du Deuxième sexe, paru en 1948, mais aussi après elle, Elizabeth Badinder, Gisèle Halimi, Antoinette Fouque, Michelle Perrot, Mona Ozouf et Françoise Héritier ont toutes contribué par leurs ouvrages à cette réappropriation symbolique par les femmes du discours sur « La Femme ». Au point que Pierre Bourdieu s'est aventuré sur un terrain extrêmement difficile et presque entièrement monopolisé par les femmes.  

1.4)La question de l'identité féminine, question première  

 Il semblerait qu'on ne puisse rien dire de sérieux sur les femmes sans passer par une interrogation sur ce que c'est qu'une femme : la question de l'identité féminine est première, lancinante et cela ne doit pas lasser de surprendre. La réflexion concrète sur les droits des femmes, notamment la revendication d'égalité devant le travail et le salaire, qui est sans doute dans la société du travail la revendication majeure, cette réflexion qui passe par des décrets, des lois, des sanctions, ne peut se fonder que sur une interrogation sur l'identité de la femme. C'est ce que montre la réflexion « féministe », notamment celle des auteurs que l'on vient de citer ou, dans le champ littéraire, d'une écrivaine comme Virginia Woolf : nécessité toujours par rapport à l'homme, et pour soi-même de refonder une identité « à soi », non pas relative mais absolue, tout en s'inscrivant dans l'humanisme, ie sans absolutiser a contrario l'irréductibilité féminine.  

1.5)La problématique de l'égalité

 Enfin, toute réflexion sur les femmes passe par la question « incontournable » de l'égalité. Et pourtant, l'affirmation récurrente selon laquelle la femme est l'égale de l'homme paraît bien mystérieuse : cela n'irait donc pas sans dire ? De même comment échapper à l'idée que la femme aurait des « droits » Mais n'était-elle pas incluse dans ce que la Révolution Française nomme « la Déclaration des droits de l'homme et du CItoyen » ? A quoi s'ajoute cependant depuis peu le qualificatif « d'universelle » ? Ici la mise en garde de Gisèle Halimi s'impose comme un préalable à la réflexion : « Que l'on ne prétende pas que les droits de l'homme et du citoyen englobent, dans leur généralité, les deux sexes. L'Histoire a déjà-dans le refus à la femme e droits politiquessouligné clairement le contraire. On sait d'autre part combien l'abstraction que l'on voudrait universaliste ( en disant l'Homme, on dit Hommes et Femmes) est calquée sur un modèle qui, en définitive est culturellement masculin, et non pas neutre. (...)En cela l'universalisme des droits n'engendre qu'une universalité trompeuse. L'humanisme qui a phagocyté la femme sous le prétexte de la fondre dans l'individu-masculin-constitue le piège le plus reoutable de nos démocraties modernes » La cause des femmes « Le temps des malentendus ». 

 Décidément, il semblerait que les questions contemporaines -égalité au travail, parité en politique, maîtrise de son propre corps, persistance d'une hiérarchie omniprésente du masculin et du féminin dans les représentations des 2 sexes et dans l'existence quotidienne -renvoient à une très ancienne interrogation sur l'identité féminine, à laquelle prétendit (depuis toujours?) répondre une somme de préjugés, de craintes, de stratégies de domination physique, morale et sociale, dont noous ne sommes pas sortis. « Nous » car il va de soi que cette somme met en question ainsi bien l'identité des hommes que celle des femmes. Avec les mots ironiques de Virginia Woolf : « Les femmes ont pendant des siècles servi aux hommes de miroirs, elles possédaient le pouvoir magique et délicieux de réfléchir une image de l'homme, deux fois plus grande que nature [...]Comment l'homme continuerait-il de dicter des sentences, de civiliser des indigènes, de faire des lois, d'écrire des livres, de se parer, de pérorer dans les banquets, s'il ne pouvait se voir pendant deux repas principaux d'une taille pour le moins double de ce qu'elle est en vérité. » Une chambre à soi. Ch. 2.

2)Identité féminine et domination masculine 2.1)L'infériorité, essence de la femme

 Si l'on veut poser pratiquement l'égalité entre hommes et femmes, il convient donc de partir de la constatation que c'est en étant définie comme inférieure, voire mauvaise et dangereuse, que la femme s'est trouvée placée dans une position d'infériorité : c'est l'être féminin en lui-même qui est en cause. Ce 1er point implique donc que la femme se définisse d'abord relativement au masculin, dont Beauvoir dit qu'il représente aussi bien le positif que le neutre, ie la norme de l'humain. La structure même du Deuxième sexe nous éclaire à ce sujet : c'est seulement après avoir fait fond, dans un premier volume, de tous les « mythes » de la féminité, qu'il est possible, dans un second volume, d'appréhender une vérité de la femme au travers de son « expérience vécue » . Ce qui importe, c'est que la disqualification de la femme n'est pas contingente, mais de nature philosophique et ontologique : la femme est inférieure comme la pierre est pierre. Car sa nature la domine et la dirige, et cette nature est...naturelle-singulière redondance qui sonne comme un enfermement.  

2.2)La femme est naturelle : une détermination biologique  

 Si l'infériorité est le leitmotiv, quelles sont les raisons avancées par cette thèse ? D'une part, le mépris de la femme s'apparente de manière récurrente au mépris de la nature. C'est parce qu'elle est réputée plus proche de la nature que l'homme, agent et incarnation de la culture, que la femme est essentiellement inférieure. Ce que résume Baudelaire dans Mon cœur mis à nu : « la femme est naturelle, ie abominable » La femme est inféodée à son propre corps ; reprenant à son profit la distinction entre corps et esprit qui parcourt religions et philosophies, de fait toujours au détriment du corps, l'homme se veut esprit, la femme n'étant que chair. 

 Comme le rappelle Rosset, la métaphore de la féminité est l'une des plus répandues afin de décrire la nature, ses bienfaits, ses mystères- l'expression « Mère Nature » en est d'ailleurs un exemple significatif. Ainsi Diderot écrit de la nature : « C'est une femme qui aime à se travestir, et dont les différents déguisements, laissant échapper tantôt une autre, donnent quelque espérance à ceux qui la suivent avec assiduité de connaître un jour toute sa personne. » De l'interprétation de la nature, cité par Rosset, L'antinature I, 1. C'est que la femme n'est ni vraiment assimilable à une chose ni vraiment humaine, à l'image de la nature, cet ordre mystérieux que son opacité protège sans cesser de susciter la crainte. Dès lors, constate Rosset « dans la plupart des civilisations connues, l'image de la nature a été volontiers associée à des personnalités du sexe féminin... » L'antinature, I, 1. 

 Comment expliquer cette surdétermination biologique de la femme dans le discours masculin, source première d'une hiérarchisation immuable et universelle ? L'argument de la faiblesse féminine, de la vulnérabilité du corps féminin est le plus traditionnel. Néanmoins, Françoise Héritier insiste sur le lien au sang : parce que sa femme perd son sang sans pouvoir l'empêcher, tandis que l'homme perd le sien volontairement, la femme est associée à la passivité, l'homme à l'activité.  

2.3)De la différence à la hiérarchie : nature et culture

 Néanmoins que cette observation ne trompe pas : « l'inégalité n'est pas un effet de la nature » comme y insiste Françoise Héritier, elle est le fruit d'une symbolique à partir de faits biologiques qui, en eux-mêmes impliquent différence (de l'ordre de l'observation) et non hiérarchie (de l'ordre du jugement de valeur et de la domination) : or de cette symbolisation archaïque nous dépendons encore aujourd'hui car « les représentations ont la vie dure, et de plus elles fonctionnent dans nos pensées, sans que nous ayons besoin de les convoquer et d'y réfléchir. » Masculin/ Féminin II.  

2.4)Les enjeux de l'argument culturel  

 Le passage archaïque de la différenciation des sexes à leur hiérarchisation est une étape essentielle dans l'histoire des représentations : aujourd'hui le dépassement de cette hiérarchie passe donc par la distinction la plus nette entre l'ordre de la nature et l'ordre de la culture. La doxa, ie l'opinion courante considère la domination masculine comme la domination par excellence. La domination se masque en se « naturalisant » et plus précisément en se « biologisant », ce que note Pierre Bourdieu dans La Domination masculine : « J'ai toujours aussi vu dans la domination masculine et la manière dont elle est imposée et subie, l'exemple par excellence de cette soumission paradoxale, effet de la violence symbolique, violence douce, insensible, invisible pour ses victimes mêmes, qui s'exerce pour l'essentiel par les voies purement symboliques de la communication et de la connaissance ou, plus précisément de la méconnaissance. » (Préambule).  

2.5)Les femmes complices ?  

 Il y a une intériorisation et une pérennité chez les femmes elles-mêmes de l'idée de leur infériorité par rapport à l'homme : ce que Virginia Woolf nomme « le pouvoir hypnotique de la domination ». Ainsi de Beauvoir note combien : « L'homme qui constitue la femme comme Autre rencontrera donc en elle de profondes complicités », et la décrit comme « éprouvant le lien nécessaire qui ma rattache à l'homme sans en poser la réciprocité, et parce que souvent elle se complaît dans son rôle d'Autre. ». De même Françoise Héritier observe à juste titre la permanence, dans le monde d'aujourd'hui, des doutes et des inquiétudes des femmes elles-mêmes quant à leur valeur et à leurs capacités, ie en fin de compte la permanence d'une inquiétude quant à leur identité : « Cette inquiétude-là n'est peut-être pas la marque de la violence la plus brutale, mais pour insidieux qu'ait été son ancrage progressif dans leur esprit dès l'enfance, c'est certainement la plus profonde. » Masculin/ Féminin II, Chapitre 3. Cette question doit d'ailleurs être immédiatement renvoyée aux hommes. Pierre Bourdieu a raison de noter que l'effort pour libérer les femmes de la domination ne peut aller sans l'effort correspondant pour libérer les hommes de ces mêmes structures qui font qu'ils contribuent, volontairement ou non, consciemment ou non, à imposer cette domination. C'est ce que note également Gisèle Halimi lorsqu'elle remarque : « Enfermée dans son rôle féminin, la femme ne mesure pas à quel point son oppresseur est lui-même prisonnier de son rôle viril. En se libérant, elle aide la libération de l'homme. En participant à égalité à l'Histoire, elle le fait autre. » La cause des femmes

2.6.)La femme est dangereuse : le regard de la religion  

 Cependant, inférieure, inféodée à la nature, la femme est également en toute logique, dangereuse. C'est le second versant essentiel de l'identité féminine telle que la constituée la domination masculine. En premier lieu, elle représente pour l'homme la tentation toujours présente du bas corporel et de la sexualité. Vision de la religion sur la femme. Cette assimilation de la femme au péché est alimentée par l’Écriture et le récit de la Genèse : Eve a provoqué la chute  responsabilité que l’Église catholique n'a cessé de rappeler. De fait, on remarque le hiatus existant entre le discours originel de nombreuses religions, qui reconnaît à la femme et à l'homme une absolue égalité ontologique, et l'attitude réelle de ces mêmes religions à l'égard de la femme. De fait, le recours à la Genèse peut légitimer aussi bien une conception égalitaire qu'une représentation dépréciative. D'une part, le récit e la création de la femme insiste sur un principe d'unité, homme et femme participant d'une même humanité et du même être : « Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa. » Genèse 1, 27. Mais un deuxième récit de la création ( Genèse 2.21) vient alimenter la représentation contraire : Dieu crée Eve à partir d'une côte d'Adam. Ce qu'il importe de constater, c'est que cette justification de la subordination de la femme à l'homme a été mise en avant et continue de l'être alors qu'une vision égalitaire était tout aussi possible et légitime au regard des Écritures. 

 D'une part, les structures ecclésiastiques chrétiennes ont transposé sans la contester l'exclusion quasiment absolue de la femme de la vie publique dans les sociétés de l'Antiquité, du Moyen Âge aussi bien que des Temps modernes. D'autre part, le christianisme a développé un double discours d'enfermement de la femme : en tant qu'origine du péché originel ce qui insiste sur une définition naturelle et biologique de la femme : en second lieu, et par voie de conséquence, à la réduction aux fonctions reproductrices, la valorisation de la fécondité, de la maternité, du mariage ainsi que paradoxalement l'exaltation de la virginité : la Vierge Marie synthétise comme une figure idéale ces paradoxes. 

 Enfin, la religion demeure aujourd'hui encore un facteur culturel de légitimation e la domination masculine : qu'elle refuse l'idée que la femme dispose de son corps ( condamnation de la contraception par le Vatican) ou qu'elle incite à l'avilissement et à l'exclusion systématique de la femme de toute vie sociale, dans les cas les plus  extrêmes, à l'exemple des Talibans en Afghanistan. 

 Mélange de répulsion et de fascination dans La Sorcière de Michelet, figure féminine adorée et proscrite, tentatrice sexuelle et révolutionnaire satanique. Lolita de Nabokov =figure de la femme tentatrice dont l'attrait sexuel fait naître à la fois désir et angoisse et conduit l'homme à la catastrophe. C'est dire que la femme cristallise également en l'homme le tabou de la sexualité.  

2.7)L'enjeu majeur : la maîtrise de la procréation

 Quel pouvoir, quelle capacité supérieure du côté de la femme, pour que ce discours sur l'infériorité et cette pratique de la domination aient été nécessaires à l'homme ? Pourquoi cette violence était-elle nécessaire ? Françoise Héritier explique pourquoi : « Pour se reproduire à l'identique, l'homme est obligé de passer par un corps de femme, il ne peut le faire par lui-même. C'est cette incapacité qui assoit le destin de l'humanité féminine (...)Si les femmes n'avaient pas ce pouvoir exorbitant de produire les deux sexes et surtout de produire les fils à l'image des hommes, le monde fonctionnerait de façon très différente, ainsi que nos systèmes de pensée. C'est le lieu même d'une supériorité qui devient le lieu de l'infériorité dominée.3 Masculin, Féminin II. 

 La domination masculine n'est donc à l'origine que le renversement radical de ce « pouvoir exorbitant » de mettre au monde des fils. C'est d'un enjeu de pouvoir qu'il s'agit. Le reste : bannissement de la vie de la Cité, réduction à la fonction maternelle et aux tâches ménagères, mépris intellectuel- n'est qu'une conséquence logique de cette nécessité première : comment justifier  ce dessaisissement si ce n'est en prouvant que la femme n'est pas à la hauteur de son pouvoir et que celui-ci, par voie de conséquence doit être confié aux hommes ?  

2.8) »On ne naît pas femme, on le devient »  

 Il existe des signes et des indices parsemés dans la vie sociale et qui indiquent de manière presque subliminale, les choses à faire ou à ne pas faire, faisables, non faisables choquantes ou non pour chaque sexe.

 On comprend mieux aussi la célèbre formule de Beauvoir : « On ne naît pas femme, o le devient » : les femmes se trouvent étrangement face à un vide de définition qu'il leur appartient de combler elles-mêmes, contre toute leur histoire, contre le fonctionnement de la société dans une large mesure, et souvent contre toute leur éducation, le « dressage » des sexes-car il concerne autant les femmes que les hommes étant aussi bien un dressage public. La formule de Beauvoir signifie donc que l'identité féminine est le fruit d'un apprentissage, de l'intériorisation à chaque étape de la vie de femme d'un discours, de valeurs, en somme d'une hiérarchie dont la source est un enjeu e pouvoir qui ne peut disparaître mais demeure largement méconnue de ceux qui l'imposent comme de celles qui la subissent. Il n'est donc pas étonnant que l'effort de libération accomplie par les femmes ait consisté d'abord à montrer que la différence des sexes pouvait signifier complémentarité et non pas nécessairement hiérarchie, puis à démontrer les mécanismes et les véritables enjeux de la domination afin que celle-ci se donne enfin à connaître comme telle.  

3)Masculin et féminin, une histoire              3.1)Les enjeux du regard historique

 L'histoire de l'humanité, c'est aussi l'histoire des rapports entre les deux sexes. Face au constat de la domination masculine des derniers siècles, il apparaît nécessaire d'élargir le champ temporel considéré et de se demander si un autre modèle exista jamais. S'interroger ainsi sur l'existence dans l'histoire d'un équilibre entre les 2 sexes, voire d'une domination féminine, c'est contribuer à relativiser la domination masculine en l'historicisant : c'est également aider au dépassement d'une conception figée et « naturaliste » des rapports entre les sexes qui se plaît à voir dans la domination une conséquence directe et immuable des identités féminine et masculine.  

3.2)Patriarcat, matriarcat

 La question du pouvoir étant essentielle, il faut se demander si le modèle du patriarcat -une société fondée sur le pouvoir des pères-fut le seul dans l'histoire humaine depuis les origines. Une société fondée sur le pouvoir des mères exista-t-elle ? Car l'hypothèse d'un matriarcat primitif, issu de l'évolutionnisme, connut à la fin du XIXème siècle un succès retentissant. Le pouvoir de la mère au temps du paléolithique se serait fondé sur le caractère indiscutable de la filiation mère/ enfant, opposé au caractère nécessairement douteux e la filiation paternelle. 

 Cette thèse liée à l'origine à la célébration de la maternité, connut un regain de faveur auprès du mouvement féministe des années 1970. En revanche, à la même époque, Edgar Morin, dans son ouvrage Le Paradigme perdu : la Nature humaine (1973) considère le patriarcat comme la structure familiale et sociale originelle en raison des liens étroits créés entre l'homme et l'enfant du fait du processus d'hominisation. C'est d'ailleurs cette hypothèse d'une asymétrie originelle entre les sexes, défavorable aux femmes, que sous-tend aussi la vision de Lévi-Strauss et de Beauvoir. Le prétendu âge d'or de la femme serait un mythe. Et, en effet, on ne peut décrire aujourd'hui aucune société matriarcale.  

3.3)La complémentarité  

 Cela oit-il signifier que le patriarcat se soit imposé dès l'origine ? On peut envisager une société où règne la complémentarité, et non le pouvoir d'un sexe sur l'autre.Ainsi, Élisabeth Badinter recherche-t-elle plutôt ces époques « d'harmonie voire d'équilibre, qu'on ne retrouvera plus dans les périodes ultérieures », et elle identifie dans les 30000 premières années de l'humanitédu paléolithique à la démocratie athénienne-une première phase au cours de laquelle « la séparation ne signifie pas l'exclusion, mais le besoin réciproque de l'Autre ; quant au partage de responsabilités, il peut être l'un des indices de la solidarité et de la considération mutuelle. » Certes , si les arguments historiques ne manquent pas dans L'un est l'autre (1986), l'intérêt de la thèse tient d'abord au dépassement de la prétendue nécessité de choisir entre patriarcat et matriarcat : car c'est de l'avenir qu'il s'agit. Si dans les systèmes patriarcaux dominants durant 3 ou 4 millénaires, jusqu'à nos jours, « il ne suffit pas aux hommes de détenir les pouvoirs les plus importants, de régner sur la famille comme sur la Cité (…). Il faut aussi imposer un systèmes de représentations et de valeurs qui justifient un tel déséquilibre », la mise en perspective historique tend justement à montrer que ce déséquilibre et ce discours axiologique n'ont aucune nécessité-au sens philosophique de ce terme. Et s'il est vrai que le modèle de la complémentarité des sexes n'en n'a pas davantage, son égale légitimité aux yeux de l'histoire devra être prise en compte dans les évolutions à venir.  

4)Le féminisme, ou l'universalisme pris au mot  4.1)Qu'est-ce que le féminisme ?

 Le mot est partout, et il sert souvent de repoussoir, aux femmes comme aux hommes. Les premières se défendent de l'être, précisant qu'elles ne recherchent aucune « revanche » sur les hommes, les seconds moquent dans le féminisme une forme nouvelle -ou très ancienne !d'hystérie revendicatrice. Comme l'écrit Geneviève Fraisse, « le féminisme apparaît comme un désordre, une passion, une hystérie, rarement comme un engagement raisonné dans l'espace politique. »Muse de la Raison, démocratie et exclusion des femmes en France.  

 Or le féminisme ne consiste ni en une revanche ni en une hargne dirigée contre les hommes. Attribué à Charles Fourier vers 1840, le mot désigne, dit le dictionnaire une doctrine qui prône l'extension des droits et du rôle de la femme dans la société.En 1872, Alexandre Dumas fils fait de l'épithète « féministe » un usage péjoratif et, dix ans plus tard, le mot devient substantif. Son usage devient courant au Xxème siècle. Mais l'idée a naturellement précédé le mot. Elle est restée, cependant, le fait de femmes et d'hommes qui faisaient exception à la règle durant l'Ancien Régime, telles ces pionnières que furent Christine de Pisan au XIVe siècle ou Poulain de la Barre qui écrit en 1673 son fameux ouvrage De l'égalité des deux sexes. La vraie rupture se situe à la Révolution française : réduit à des prises de position individuelles, le féminisme devient prise de conscience collective.  

4.2)Une brève histoire du féminisme  

 C'est dire le lien étroit entre l'aspiration démocratique et la libération des femmes. La seconde ne peut s'imaginer sans le moteur que constitue la première. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, son universalisme affiché, ont indirectement et dans une large mesure involontairement-contribué à la question du statut de la moitié oubliée de l'humanité. Comme l'observe Élisabeth Badinter : « Dans les sociétés occidentales plus exigeantes que d'autres sur le chapitre de la démocratie, les femmes ont profité de l'idéologie dominante pour mettre fin à la relation inégalitaire qui les unissait aux hommes. Leurs fonctions traditionnelles dépréciées, elles n'ont pas voulu se contenter e l'antique distinction des rôles, même également partagés et revalorisés. » L'un est l'autre. 

 La lutte des femmes pour l'égalité représente une lutte politique, philosophique, éthique et sociale. Georges Sand (1804-1876), une des plus grandes féministes du XIXème siècle affirme : « Pour que la condition des femmes soit transformée, il faut que la société soit transformée. » Dans son autobiographie, Histoire de ma vie, elle raconte comment la création littéraire fut pour elle un moyen de sortir de la condition étroite réservée aux femmes de son temps et, de l'homme et de la femme dans le couple et dans la société. Victor Hugo salua le jour de ses obsèques « une grande femme ».  

 Les moments de crise politique et de renversement de l'ordre établi ont été des moments propices à la cause des femmes, ne serait-ce que par leur forte participation aux révolutions, mais en même temps les espoirs nés de ces conjonctures n'ont jamais été réalisés pleinement, et le conservatisme domine dans ce domaine particulier. C'est le cas avec la Révolution de 1789, celle de  1848 et la mise en place de la IIIème République après 1870. A chaque fois, les femmes prennent au mot l'universalisme mis en avant par les politiques et posent la conclusion logique de ce dernier en réclamant l'égalité des droits, notamment le droit au travail, le droit à un salaire égal et le droit au suffrage universel. A chaque fois, l'universalisme abstrait est pris en défaut et placé devant ses propres contradictions. C'est ce que montre Olympe de Gouges -exécutée en 1793-lorsqu'elle rédige en 1791 une « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne », pendant de la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen . C'est aussi ce que démontre Condorcet dans son article sur L'admission des femmes au droit de cité (1790) : « Les droits des hommes résultent uniquement de ce qu'ils sont des êtres sensibles, susceptibles d'acquérir des idées morales, et de raisonner sur ces idées ; ainsi les femmes ayant ces mêmes qualités, ont nécessairement des droits égaux. Ou aucun individu de l'espèce humaine n'a de véritables droits, ou tous ont les mêmes : et celui qui vote contre le droit d'un autre, quelle que soit sa religion, sa couleur ou son sexe, a dès lors abjuré le sien. » De fait, la logique de Condorcet n'a pas été suivie. Même si la Révolution reconnaît l'individualité civile des femmes et institue le divorce par consentement mutuel en 1792. Mais elle ne va pas plus loin ; dès 1793, la peur de la parole et de l'activité des femmes provoque un retour au discours bien connu sur leur « nature spécifique ». Reste ce paradoxe intenable : comment proclamer l'universalité des droits et refuser aux femmes la qualité de citoyennes à part entière ? Néanmoins le code Napoléon en 1804, qui rétablit la hiérarchie familiale et refonde l'autorité paternelle, puis l'abolition du droit au divorce en 1816, remettent en cause l'acquis révolutionnaire. Il faudra attendre 1975 pour qu'une loi réinstaure cette forme égalitaire du divorce. 

 Au cours du XIXème siècle, le hiatus entre le discours émancipateur et la réalité dune assimilation constante des femmes à la seule fonction de reproduction de l'espèce ne cesse de s'aggraver. La raison en est simple : « Les héritiers de la Révolution s'efforcent de tracer les contours d'une catégorie sociale entièrement déterminée par une différence de nature » Michèle Riot-Sarcey. Or les Lumières et la philosophie des droits de l'homme représentent justement le dépassement de l'idée d'un « ordre naturel ». Ce qui n'empêche pas les républicains, qui pourtant s'en réclament, de considérer la « femme libre » comme une menace et de l'assimiler à la femme publique. Les voix contraires sont rares, telle celle de Charles Fourier qui écrit en 1808 : « En thèse générale : les progrès sociaux et changements de périoe s'opèrent en raison du progrès des femmes vers la liberté ; et les décadences d'ordre social s'opèrent en raison du décroissement de la liberté des femmes. » Théorie des 4 mouvements. 

 Dans les années 1830, ce sont les mouvements fouriériste et saint-simoniens-au contraire de Proudhon qui affirme en 1849 que « le ménage et la famille, voilà le sanctuaire de la femme »- qui insèrent le mouvement des femmes dans un cadre plus général d'émancipation sociale. C'est à cette contestation de l'ordre social et sexuel établi que se trouve confrontée la Iième République, née de la Révolution de 1848. Le débat porte essentiellement sur le sens de l'expression « suffrage universl » dont l'exclusion des femmes ne choque pas les Républicains comme une aberration. La libération de la femme serait ue vraie aberration aux yeux de la nature, et la famille, socle de l'ordre social s'en trouverait menacée. Le SE ne fait qu'alimenter ces objections tandis que son effondrement et l'épisode de la Commune ravivent la haine fantasmatique des « pétroleuses » à l'exemple de Louise Michel qualifiée de « louve avide de sang ». 

 Cependant en 1878 se tient le premier Congrès international du droit des femmes dont le programme laisse significativement de côté la revendication des droits politiques, et en 1882, Victor Hugo est le président d'honneur de la Ligue française pour le droit des femmes. Deux ans plus tard, le rétablissement du divorce est voté, mais pas le consentement mutuel. Au tournant de ce siècle, ce sont les associations féminines souvent à vocation philanthropique qui maintiennent la revendication féministe. Celle-ci va s'orienter toujours plus résolument vers la question du suffrage, et en 1909 est créée l'Union française pour le suffrage des femmes. Cependant, le lien entre droits individuels et collectifs est étroit et, jusqu'à la fin du siècle, il apparaît que l'inégalité politique sociale et économique ne peut être séparée de l'inégalité au sein de cette institution éminemment sociale qu'est la famille. En France comme aux EU, la situation reste identique au Xxème siècle ; dans les 2 sociétés, on observe une égale hostilité des syndicats ouvriers envers les revendications féministes, accusées de détourner du véritable enjeu, la lutte des classes. A partir de la 1ère GM et de l'essor qu'elle donne au travail féminin, le sort du féminisme est lié à celui du travail salarié des femmes, en expansion constante. Avec la logique démocratique issue de la Révolution, l'insertion dans le monde du travail est le second moteur de l'émancipation des femmes. Le droit au suffrage est accordé en 1917 en Russie, en 1918 en Grande-Bretagne, en 1919 en Allemagne et sur l'ensemble du territoire des EU en 1920. Le retard de la France, terre de l'universalisme paraît d'autant plus incroyable. Mais l'obstacle est sans doute plus philosophique que réellement politique, si l'on suit le raisonnement de Pierre Rosanvallon dans Le Sacre du citoyen (1992) : « Pour que la femme vote, il aura aussi fallu que l'épouse cesse de se confondre avec la servante. » C'est dire l'importance des représentations dans les inégalités présentes et passées. 

 Pour la même raison, la plupart des mouvements féministes de l'entre-deux guerres s'accommodent de la répression de l'avortement et de la contraception, prônant le modèle de la « maternité sociale » afin de mieux accepter leurs revendications...Seul d'ailleurs le Parti Communiste en 1933 présente un projet de loi de dépénalisation de l'avortement, avant de se rétracter et d'abonder dans le sens des valeurs familiales dites « républicaines ». Et, en fin de compte, l'acquis du Front Populaire se limite à la promotion symbolique de trois femmes dont la physicienne Irène Joliot-Curie, fille de Pierre et Marie Curie, au rang de Secrétaire d’État dans le gouvernement de Léon Blum. 

                Vichy, régime réactionnaire, valorise le « métier de mère » au détriment de l'émancipation.

La place importance prise par les femmes au moment de la Résistance (Germaine Tillon, Lucie Aubrac, Berthe Albrecht) ont fait beaucoup pour cette émancipation. Néanmoins si l'article 17 de l'ordonnance du 21 avril 1944 stipule que les « les femmes sont éligibles et électrices dans les mêmes conditions que les hommes », il s'agit d'une abstraction jurique et non d'une réalité politique. C'est dans ce contexte figé que paraît Le Deuxième sexe de Beauvoir en 1948. Sa publication provoque un véritable scandale. En 1960 est créé le Mouvement du planning familial. La loi Neuwirth de 1967 reconnaît le bien-fondé de la régulation des naissances. En 1970, le Mouvement pour la libération des femmes est crée : son geste le plus spectaculaire est la parution en avril 1971 dans Le Nouvel Observateur d'un Manifeste de 343 femmes des milieux intellectuels et du spectacle  déclarant s'être fait avorter. Dès lors, la question de l'avortement et de la contraception intègre le débat politique. En juillet 1974 est créé le Secrétariat d’État à la Condition féminine et le 29 novembre 1974, Simone Veil fait voter la loi qui légalise l'avortement. Ainsi apparaît un droit fondamental, le droit à la maîtrise de son propre corps que la légalisation de la contraception et de l'avortement semblent avoir assuré aujourd'hui aux femmes, tout au moins dans les sociétés occidentales. Néanmoins ce droit reste fragile aux EU où il ne tient qu'à un arrêt de la Cour Suprême. Si la contraception est selon les mots de Françoise Héritier « un tournant sans précédent dans l'histoire de l'humanité », c'est donc parce que les femmes retrouvent à travers lui la maîtrise de leur fécondité, cette maîtrise qui est justement l'enjeu du pouvoir masculin depuis les origines. Substituer la complémentarité des sexes à leur hiérarchisation.  

5)Paradoxes contemporains  5.1)Le paradoxe : victoire et inachèvement

 Aujourd'hui, la situation des femmes apparaît paradoxale : d'une part leurs revendications semblent acquises (droit de vote, droit au travail, droit à l'indépendance financière, droit de disposer de son propre corps, parité en politique inscrite en France dans la Constitution, respect ie reconnaissance symbolique), et cela à tel point qu'un discours de défense des hommes peut apparaître nécessaire à certains d'entre eux. A l'inverse, chacun voit dans la domination masculine, si elle a assez largement disparu dans le droit, n'a disparu ni dans les pratiques (à commencer par l'inégalité devant le travail et devant le salaire) ni surtout dans les mentalités et les comportements quotidiens. 

 Ceci explique que le féminisme apparaisse comme un moment historique et dépassé et que la préoccupation de l'effectuation de l'égalité juridique et abstraite de la femme soit au contraire très vive : image de la femme dans la publicité et beaucoup plus largement difficulté de considérer les femmes à l'intérieur de l'universalisme de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.  

5.2)L'Occident n'est pas le monde

 L'argument de la libération des femmes doit être relativisé : l'Occident n'est pas le monde : considérer les progrès incontestables, quoique inachevés, accomplis en Occident tant dans les faits que dans les représentations des deux sexes ne peut faire oublier qu'une minorité des femmes dans le monde est aujourd'hui en situation de profiter de ces avancées. D'autre part, l'argument du relativisme culturel, qui justifie des atteintes graves aux droits des femmes par les spécificités irréductibles de telle ou telle culture, doit être discuté. 

                                                                  5.3)Le relativisme culturel  

 Le débat qui oppose l'universalité et la relativité des valeurs (ou l'universel et le particulier) est fort ancien. Montaigne dans Les Essais ;  Rousseau dans le Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité critique l’ethnocentrisme sans pour autant renoncer à l'universalisme. De même pour Claude Lévi-Strauss dans Tristes Tropiques . Le relativisme culturel est également mis en avant pour justifier l'impossibilité prétendue de l'extension de ces droits aux femmes partout dans le monde. On voit dans quel piège cette logique peut enfermer : doit-on considérer que la pratique de l'excision, par exemple, doit être admise en tant que tradition ou coutume sur lesquelles nul jugement théorique ne pourrait être porté ? De fait, l'universalisme des Lumières ne signifie pas la négation es différences culturelles ; au contraire, cette préoccupation existe chez Rousseau, Montesquieu (Lettres persanes) ou Diderot (Supplément au voyage de Bougainville). Qui dit universalisme ne dit pas identité, mais conscience que les cultures, les traditions, voire les coutumes nationales, ne sont que des réponses particulières à des questions universelles. Par ailleurs, le statut de la femme, et la hiérarchie qui s'y attache, sont des problèmes posés à l'humanité entière : dès lors, la représentation du féminin comme inférieur au masculin étant, à des degrés divers selon les époques et les cultures, une représentation universelle, l'appel au relativisme culturel sur cette question paraît particulièrement peu convaincant. Le statut social de la femme reste, quelle que soit la société considérée, un enjeu de pouvoir, donc une question politique et non culturelle.  

5.4)Violences et discriminations  

 Pour autant que penser de la situation de la situation actuelle dans le monde et particulièrement en Occident ? Quel constat peut-on faire ? Selon les rapports d'Amnesty International la discrimination reste une réalité internationale. Les violences et abus sexistes tuent davantage de femmes et de fillettes que tout autre type de violation des droits de la personne humaine. 

 Cette discrimination prend des formes diverses : en Chine, plus d'un million de filles sont mortes par an dans le cadre d'une politique de l'enfant unique qui fait également ravage en Inde. Le viol est également une pratique courante, de nos jours, dans les guerres civiles au point que la grossesse forcée a été reconnue en 2001 comme un crime contre l'humanité. Les violences conjugales : En 2019 : 146 femmes ont été tuées par leur partenaire ou ex-partenaire. 84 % des morts au sein du couple sont des femmes. En moyenne, le nombre de femmes âgées de 18 à 75 ans qui, au cours d’une année, sont victimes de violences physiques et/ou sexuelles commises par leur conjoint ou ex-conjoint, est estimé à 213 000 femmes. Autre forme de violence, les mariages forcés. L'écart des salaires dans le domaine professionnel est l'expression d'une autre discrimination faite aux femmes : En France, à même niveau hiérarchique, même entreprise et mêmes fonctions, l'écart salarial entre femmes et hommes à temps plein est de 2,7% d’après The Economist. Cet écart s'accroît à 4 % lorsque seul le niveau hiérarchique est identique, et à 17 % tous niveaux hiérarchiques confondus. Le salaire mensuel net moyen des femmes en France est, selon l'INSEE, de 16,8% inférieur à celui des hommes, et le salaire médian des femmes est, selon l'OCDE, de 11,5% inférieur à celui des hommes (2019 et 2020). La discrimination concerne également l'accès à l'éducation et le rapport au savoir puisque selon l'UNESCO, on compte 875 millions d'analphabètes dans le monde dont les deux tiers sont des femmes. C'est d'une volonté d'éducation qu'il faut parler selon Françoise Héritier et non d'une capacité inégale selon les régions du monde : ainsi, alors que 91% des femmes sont éduquées au Vietnam, elles ne sont que 24% à l'être au Pakistan... D'ailleurs, en France même le rapport symbolique au savoir est conçu de manière inégalitaire : ainsi 14% seulement des professeurs d'université sont des femmes.  

5.5)La politique, ou le retour de la question du pouvoir

 Reste la question politique. La traiter à part signifie qu'elle se situe au cœur de ce qui fonde la domination masculine, ie un enjeu de pouvoir : on ne s'étonnera plus que le pouvoir politique demeure le lieu de la résistance la plus forte à l'émancipation féminine. La loi du 6 juin 2000 est une loi française tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives. Cette loi dite sur « la parité » contraint les partis politiques à présenter un nombre égal d’hommes et de femmes pour les élections régionales, municipales, sénatoriales et européennes. En 2017, les élections législatives marquent une forte progression de la représentation des femmes. Elles sont 38,8 % des députés à l' Assemblée Nationale, avec 224 femmes élues. Ce record propulse la France parmi les vingt pays comptant le plus de femmes à la première chambre.Aux élections sénatoriales de 2017, les partis politiques ont adopté des stratégies antiparité, ne permettant qu'une très légère progression de la représentation des femmes. Elles sont 29,2 % contre 25 % précédemment au Sénat.

 Le débat français sur la parité en 1999 et en 2000 a tourné autour d'une question à la fois simple et complexe : les femmes doivent-elles être représentées politiquement en tant que femmes ? Le fait dans le texte constitutionnel, de fonder l'égalité en politique sur une différence sexuée n'est-il pas, au contraire, la reconnaissance solennelle de l'exclusion des femmes hors du champ d'application de l'universalisme qui fonde notre République ? Car selon les mots de Robert Badinter, il n'existe pas de « différence de nature entre hommes et femmes que l'on puisse ériger en principe politique. » C'est dire qu'aux yeux e la plupart des promoteurs de cette mesure, la parité apparaît comme « un mal nécessaire ». 

 Un paradoxe français demeure : si la France paraît plutôt en avance dans le monde occidental lorsqu'il s'agit de l'évolution des représentations, notamment en ce qui concerne la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, elle fait preuve d'un véritable blocage dans l'espace politique, comme l'institution de la parité le démontre de manière paradoxale.  

5.6)Le paradoxe de la « troisième femme »

 Il paraît pertinent de parler tout à la fois, à l'instar de Gilles Lipovestsky dans son ouvrage La Troisième Femme de la révolution et de la permanence du féminin. Car si la révolution est prodigieuse, c'est aujourd'hui ce qui résiste et perdure qui peut choquer. On n'arguera certes que des siècles, des millénaires de domination, ne s'effacent pas dans les esprits en quelques décennies. De plus, les incertitudes de la domination masculine sont aujourd'hui bien réelles : comme l'écrit Élisabeth Badinter dans L'Un est l'autre : « L'identité masculine pose aujourd'hui une énigme. Quelle est l'expérience autre que sexuelle, qui soit propre à l'homme et totalement inconnue de la femme ? » De même sont vives les interrogations sur la fonction paternelle, peu à peu dépouillée de la puissance traditionnelle du pater familias. 

 Car la remise en cause des schèmes « archaïques » met en cause les 2 identités, masculine et féminine. L'avenir commun des hommes et des femmes semble se comprendre dans un univers mental à la fois traditionnel et inédit, où s'opposent et s'unissent les notions de hiérarchie, de complémentarité et de ressemblance des sexes. D'où cette hésitation contemporaine entre la fidélité aux schémas archaïques et l'arrachement vers un nouvel équilibre, déroutant pour tout le monde, fondé sur la complémentarité des sexes. En dépit de certaines apparences, la cause est loin d'être entendue et l'histoire est loin d'être achevée.  Élisabeth Badinder, L'un est l'autre 1986

Simone de Beauvoir, Le Deuxième sexe 1948

Gisèle Halimi, La cause des femmes, 1973

Françoise Héritier, Masculin/ Féminin II : dissoudre la hiérarchie, 2002

Michèle Perrot, Georges Duby, Histoire des femmes en Occident 1990

Michèle Riot-Sarcey, Histoire du féminisme 2002

Clément Rosset, L'anti-nature 1986

L'INDIVIDUALISME

Définition

 On appelle « individualisme » l'attitude d'esprit favorisant l'initiative et la réflexion individuelles, ainsi que le goût de l'indépendance. Dans ce sens, le mot possède des résonances contradictoires : il est assimilé par les uns à un comportement égoïste, anti-solidaire, centré sur les plaisirs individuels de la personne ; pour les autres, il s'agit d'une attitude propre à des esprits libres, qui ne se plient pas aux normes suivies par la masse, et à ce qu'on appelle le « grégarisme » social. 

 L'individualisme est aussi un courant philosophique, qui voit dans l'individu la suprême valeur dans le domaine politique, économique et moral. Cette orientation a été particulièrement développée au XIXème siècle, par la pensée anarchiste. 

 Enfin, il existe un courant méthodologique propre à la sociologie, appelé précisément « individualisme » méthodologique et qui constitue une anlayse des faits sociaux fondée sur 3 principes : 

1)L'action est un comportement humain doté pour l'individu d'un sens subjectif ; 

2)Toute action individuelle est rationnelle, ie qu'elle est fondée sur des raisons (motifs) que le sociologue doit mettre en lumière

3)L'agrégation des actions individuelles forme les phénomènes sociaux, dont le résultat n'est pas intentionnel. Cette approche s'appuie sur les travaux de Max Weber et a été largement défendue par Raymond Boudon. Elle s'oppose à ceux qui n'étudient les individus en société, que sous l'aspect de leur aliénation (Marx, Bourdieu), au lieu de rechercher la part de liberté qui leur est propre.  

Historique  

Dix millions de personnes vivent seules 1 en France. Leur part dans l'ensemble de la population est passée de 6 à 16 % entre 1962 et 2016, selon l'Insee. Si l'on ne considère que les 15 ans et plus, cette proportion a augmenté de 13 % en 1990 à presque 20 % en 2016.23 avr. 2020  

Débat classique

 Les Anciens possédaient une conception holistique de la société. Cet adjectif signifie que chaque individu était déterminé par sa place dans la Cité : hommes, femmes, patriciens, plébéiens, métèques, esclaves, tous étaient définis par rapport au Tout (la « belle totalité » selon Hegel). Cette organisation pouvait se conjuguer avec un esprit d'indépendance, mais elle ne comportait pas d'exclus au sens où nous l'entendons aujourd'hui. Il faut alors attendre précisément le XVIIIème siècle pour trouver un premier essai de théorisation de l'individualisme avec l'analyse d'Emmanuel Kant ( 1724-1804) développée dans La Philosophie de l'Histoire. Kant y soutient que l'homme est un être contradictoire d'abord soumis à un « penchant » quil définit comme une tendance naturelle de chaque individu vivant en société à vouloir se détacher des autres, en recherchant uniquement la satisfaction de son intérêt privé. Cette tendance à s'isoler et à ne considérer que son bien propre, ce penchant, écrit-il « à vouloir tout diriger dans son sens », Kant le nomme insociabilité. A bien des égards, on peut considérer ce concept comme une préfiguration de ce que notre modernité appellera « individualisme ». Toutefois l'analyse de Kant ne s'arrête pas là et admet qu'il existe un autre penchant humain, antagoniste du premier et coexistant simultanément avec lui : le penchant humain à s'associer avec d'autres. Les hommes sentent en effet que c'est dans l'union avec autrui qu'ils peuvent davantage développer leurs dispositions naturelles, et en particulier grâce à la division du travail, favoriser dans l’État toutes les activités qui les épanouiront. Ce second principe, la sociabilité, vient contrebalancer le premier et offre une vision dynamique de la vie sociale, ans le sens où elle devient le produit, en l'homme, de forces contradictoires. A travers cette dynamique, Kant essaie de dégager une logique au désordre apparent des conduites et des faits. Cet antagonisme est aussi présenté comme un puissant moteur du progrès humain, car la résistance que chacun rencontre dans la satisfaction de son intérêt propre éveille ses forces et le porte à se dépasser. L'homme cherche alors «  se frayer une place parmi ses compagnons, qu'il supporte de mauvais gré, mais dont il ne peut se passer. » 

 Ainsi l'individualisme n'est jamais pensé isolément et pour lui-même, mais s'inscrit dans une dialectique, ie dans une dualité contradictoire. Arthur Schopenhauer ( 1788-1860) ne dira pas autre chose dans Parerga et Paralipomena (1851), texte dans lequel il exprime le mécanisme mais dans une forme imaginée et métaphorique : « Par une froide journée d'hiver, un troupeau de porcs-épics  s'était mis en groupe serré pour se garantir mutuellement contre la gelée par leur propre chaleur. Mais tout aussitôt ils ressentirent les atteintes de leurs piquants, ce qui les fit s'éloigner les uns des autres. Quand leur besoin de se réchauffer les eût rapprochés de nouveau, le même inconvénient se renouvela, de façon qu'ils étaient ballottés deçà et delà entre les 2 souffrances jusqu'à ce qu'ils eussent fini par trouver une distance moyenne qui leur rendit la solution supportable ». Les hommes sont comparables à ces porcs-épics, tiraillés par leur besoin de société et leur égoïsme naturel qui les amène à vouloir s'isoler les uns des autres. Au XIXème siècle, le mouvement anarchiste développe un individualisme à outrance. Le théoricien alleman Max Stirner (1806-1856) en incarne probablement l'orientation la plus radicale. Dans L'Unique et sa propriété (1844), il érige l'égo, ie le moi individuel en valeur cardinale et suprême : « Je suis et je reste, pour Moi, plus que l’État, l’Église, Dieu ». Le vrai culte doit être celui de l'individu, le culte du Moi qui sera complet uniquement quand les entités oppressives de l'Humanité, la Nationalité, l'Etat, la Loi, auront fait place à la réalité unique, celle du moi.  

Actualisation du débat

 Quand on examine l'évolution du statut de l'individu au Xxème siècle, on s'aperçoit que la montée de l'individualisme s'est heurtée en France à une vive résistance anti-individualiste, inspirant  des pratiques contradictoires. Toute une tradition va prôner le retour à la sociabilité de la société rurale et trouvera son aboutissement au cours de la seconde GM, avec la devise « travail, famille, patrie » et l'exacerbation d'un sentiment nationaliste de la France de Vichy. Les années 60 voient l'apparition d'un individualisme lié à l'expansion de la société de consommation, avec en réaction, le mouvement hippie, qui recherche une vie plus spirituelle et qui prône le partage de la vie communautaire. Au cours des années 80, une nouvelle forme d'individualisme apparaît, liée à la remise en cause de l'intervention de l’État dans la vie sociale et économique. On redécouvre alors les vertus du libéralisme incarné par l'arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher en Grande-Bretagne et Ronald Reagan aux EU. L'effondrement des sociétés socialistes, au début des années 90, renforce ce mouvement et marque la volonté de rompre avec toutes les formes de totalitarisme et d'idéologies collectives. 

 Sur le plan théorique, l’œuvre majeure est celle de Gilles Lipovesky qui, dans L'ère du vide (1983), analyse les mécanismes de ce « nouvel individualisme ». Il écrit : « Obsédé par lui seul, à l'affût de son accomplissement personnel et de son équilibre, l'individu fait obstacle aux discours de mobilisation de masse. Les appels au risque et à l'aventure politique restent sans échos ». Toutefois, à la suite de cet ouvrage, beaucoup lui ont reproché de ne pas prendre en compte dans son analyse la vigueur du mouvement associatif en France, et le fait que de + en + de gens consacrent une partie de leur temps libre à des activités bénévoles tournées vers autrui. Ce à quoi Lipovestsky a répondu en 1992, en affirmant dans Le Crépuscule du devoir, que même dans ce contexte, l’individualisme s'affirme, par des voies certes plus détournées et même en apparence antithétiques. Selon lui, dans le mouvement associatif « ce sont surtout le plaisir de rencontrer autrui, le désir de valorisation sociale, l'occupation du temps libre qui constituent les motivations essentielles du bénévolat ». 

 Il ne faut pas oublier l'individualisme « forcé » qui constitue la solitude subie par un nombre croissant au sein de nos sociétés modernes de + en + anonymes. Les pourcentages nous apprennent ainsi que le pourcentage d'hommes vivant seuls est passé de 6,4 en 1968 à 12,2 en 1999. la canicule en l'été 2003 nous a révélés l'ampleur de ce phénomène pour le cas des personnes âgées, mais celuici touche tous les adultes en général, et les « repas de quartier » organisés une fois par an à Paris pour que les habitants d'une cité se parlent enfin paraissent bien dérisoires. Le triomphe du film, Le Fabuleux destin d'Amélie Poulain (2001) de Jean-Pierre Jeunet, abordait en filigrane cette thématique de la solitude, en montrant la difficulté de communication avec l'autre, qui la sous-tend. Aujourd'hui, les différents confinements liés au COVID 19 accentuent cette solitude : parmi les jeunes, les trentenaires qui télé-travaillent et ne sortent plus ainsi que les personnes âgées.  

Gilles Lipovesky, L'ère du vide. Essai sur l'individualisme contemporain, Gallimard, 1983. 

Alain Renaut, L'ère de l'individu, Gallimard, 1989.